Résumé de l'article

Christophe Jamin, Boissonade et son temps
Qui est Gustave Boissonade, dont il est aujourd'hui admis qu'il est le "père français du droit japonais moderne", et quelle est sa philosophie ? Docteur en droit en 1852, reçu au concours d'agrégation des Facultés de droit en 1864 à l'âge de 39 ans, appelé en qualité d'agrégé à la Faculté de droit de Paris dès 1867, il est envoyé en mission au Japon entre 1874 et 1895, date à laquelle il revient en France et cesse toute activité intellectuelle, après avoir constaté et déploré le rejet de son projet de code civil par la société japonaise. Boissonade est donc pleinement un jurisconsulte de la seconde moitié du XIXe siècle. À ce titre, il paraît arriver à la fois trop tard et trop tôt sur la scène juridique française, ce qui fait de lui un héritier et un précurseur. Héritier, il l'est, car, s'il n'a pas participé à l'introduction des idées de l'école historique allemande en France, il reprend celles-ci à son compte, du moins telles qu'elles sont reçues par des juristes français qui demeurent attachés à une philosophie spiritualiste et jusnaturaliste dont il se veut aussi le promoteur. Héritier, il l'est encore en se rattachant dans le même temps à la doctrine exégétique, dont il reprend le postulat rationaliste mâtiné d'esprit chrétien et la méthode d'analyse des textes. Mais Boissonade est aussi un précurseur, même s'il n'anticipe nullement sur la révolution sociologique de la fin du siècle. À une époque où l'économie politique est encore mal perçue au sein des Facultés de droit françaises, il en défend ardemment l'enseignement. Bien plus, son jusnaturalisme le rapproche des économistes libéraux alors dominants, qui défendent l'idée d'un ordre naturel dont il entend pour sa part assurer la traduction sur le plan juridique. Ce même jusnaturalisme lui permet aussi d'être l'un des premiers, s'il n'est pas le plus connu, à défendre une conception universaliste du droit comparé, dont on peut néanmoins penser qu'elle a perdu son projet de code civil, alors que celui-ci lui apparaissait n'être que l'expression technique du droit naturel. Boissonade constitue en définitive un auteur emblématique de son temps : éclectique et libéral, il en partage à la fois les promesses, les contradictions et peut-être les insuffisances.

Mots-clef : Boissonade, Japon, codification
t. 44, 2000 : p. 285-312