Résumé de l'article

Bernard Harcourt, Pénalité néolibérale: Exceptionnalisme, autonomie, et pluridisciplinarité dans le droit pénal
Aux Etats-Unis aujourd’hui, la sanction pénale représente l’extrémité, la limite, la frontière du marché libre. Ce dernier est caractérisé par une certaine rationalité économique qui produit un ordre spontané dans les affaires et les échanges dites « volontaires et compensés. » En revanche, c’est le droit pénal qui assure la liberté du marché. D’où la déclaration de Richard Posner que la « fonction » du droit pénal dans une société capitaliste est de prévenir ce qu’il appelle market bypassing – le détournement par la fraude ou la coercition du marché, défini comme le moyen le plus efficace pour les échanges commerciaux et sociaux. La sanction pénale joue le rôle d’exception en assurant que personne ne dévie des échanges volontaires. Le pénal ne joue pas un rôle au centre des relations du marché, mais à la limite ; le pénal n’est pas un lieu d’ordre naturel, mais au contraire de la légitime intervention coercitive et assez brutale de l’État.
Il est possible de tracer la généalogie de ce discours néolibéral, en commençant par un contraste très aigu avec la pensée dominante à milieu du XVIIIe siècle en France et en Italie. La « police » du commerce et des marchés était assez intense et, à travers l’œuvre de Cesare Beccaria, devint le modèle même de l’intervention pénale : pénal et marché étaient imbriqués intégralement. Il n’y avait ni règle, ni exception, mais au contraire continuité entre marché et police, fluidité de réglementation. Comment le pénal est-il devenu le domaine de l’exception et à quel prix ? Cet article propose que la source de ce nouveau discours date des années 1760 et de la pensée physiocrate de François Quesnay et Le Mercier de la Rivière. A travers les concepts d’ordre naturel et de despotisme légal, les physiocrates ont transformé la manière de penser l’intervention gouvernementale, la déplaçant du centre des relations sociales et économiques à la frontière ou la limite du marché. En traçant cette généalogie, cet article vise a mieux comprendre la relation entre droit et exception – ou, ce que l’on pourrait aujourd’hui appeler, le droit pénal d’exception.



Mots-clef : Droit pénal, pénalité néolibérale, police, despotisme légal, physiocratie, exceptionnalisme, autonomie, pluridisciplinarité,
t. 53, 2010 : p. 38-57